L’ANSES a publié son rapport d’évaluation de la pertinence des métabolites de pesticides dans les eaux destinées à la consommation humaine. Ce document apporte deux types de réponses aux services d’eau potable, d’une part quelles valeurs limites réglementaires sont (ou seront) applicables aux métabolites de pesticides au regard de leur caractère « pertinent » ou non, d’autre part il qualifie la pertinence de huit métabolites. Pour ce faire, l’ANSES propose dans ce rapport une méthode d’évaluation de la pertinence en ne considérant que les risques pour la santé des consommateurs.
Ce travail s’appuie sur les pratiques des différents Etats membres, la définition de métabolite pertinent mentionnée au règlement européen 1107/2009 fixant les conditions de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (PPP) et la démarche pour l’évaluation de la pertinence des métabolites des substances actives pouvant migrer vers les eaux souterraines issue du Guide Sanco/221/2000 – rev.10-final -25 February 2003 (laquelle propose une valeur seuil de 10 µg.L-1 pour les métabolites non pertinents, mais au regard du seul enjeu eaux souterraines et en considérant la protection de la santé des consommateurs par le biais de la contamination hydrique mais également la protection de la ressource).
La saisine de l’ANSES n’avait cependant pas pour objet d’évaluer l’adéquation des valeurs réglementaires fixées pour les pesticides et les métabolites pertinents pour les EDCH en terme de protection de santé du consommateur et leurs éventuelles limites (en d’autres termes, l’ANSES réaffirme que la valeur seuil réglementaire de 0,1 µg.L-1 répond à des enjeux environnementaux).
Si le rapport apporte des réponses précises, c’est sans préjudice de la transposition de la future directive eau potable, laquelle peut conduire à une révision de la définition des métabolites pertinents.
En outre le rapport fait état de lacunes substantielles dans la caractérisation des effets sur la santé des métabolites, plus particulièrement ceux d’ores et déjà interdits. Quels que soient les produits, les connaissances scientifiques semblent souvent lacunaires ou balbutiantes (notamment sur la notion de perturbation endocrinienne), des DAR/RAR (dossier d’approbation d’une nouvelle substance active ou son renouvellement décennal) sont qualifiés pour leur part d’hétérogènes, d’insuffisants voire d’inexistants.
Cela augure en conséquence d’évolutions possibles dans le classement des paramètres notamment le risque d’une requalification de la pertinence dés lors que des effets seront finalement constatés, soit à l’appui de la recherche, soit dans le cadre de directives définies au niveau européen.
Mais les propositions présentées dans le rapport ont vocation à répondre aux enjeux de gestion locale lorsque des métabolites de pesticides sont quantifiés à des concentrations supérieures aux limites de qualité réglementaires dans les EDCH.
La méthode adoptée par l’ANSES pour statuer quant au caractère pertinent d’un métabolite s’appuie sur 6 critères (dès lors que le métabolite présente un risque au regard d’un de ces critères, jugés dans cet ordre chronologique, il est classé comme « pertinent »):
1er critère : activité pesticide
- Identifier si le métabolite concerné a une activité « pesticide » comparable à celle revendiquée pour la substance mère. Si l’activité « pesticide » est au moins égale à 50 % de celle de la molécule mère, alors le métabolite est considéré comme ayant une activité « pesticide » et sera classé « pertinent dans les EDCH ».
- En l’absence de donnée ou si les informations disponibles ne permettent pas de conclure sur cette éventuelle activité « pesticide », le métabolite sera classé par défaut « pertinent pour les EDCH »
- En outre, si des données mettent en évidence une autre activité « pesticide » différente de celle revendiquée pour la Substance Active (SA), il peut être classé « pertinent pour les EDCH »
- Enfin, s’il s’agit d’un métabolite de SA d’un produit phytopharmaceutique dont l’activité « pesticide » n’a pas été évaluée lors de l’évaluation réglementaire de la SA ou d’un métabolite d’une SA qui n’est pas un phytopharmaceutique, la reconnaissance de la pertinence résulte d’un examen des données de la littérature si elles existent
2nd critère : la génotoxicité
- Identifier si le métabolite possède un potentiel génotoxique.
- Lorsqu’il s’agit d’un métabolite de SA d’un produit phytopharmaceutique, la conclusion résulte des évaluations conduites par l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) sous réserve d’une prise en compte des évolutions règlementaires depuis leur publication, à défaut et si elles sont suffisantes, les données provenant des études sources et les DAR/RAR sont utilisées.
- Lorsqu’il n’existe pas d’évaluation, ou pour tout autre métabolite de pesticide, la génotoxicité résulte exclusivement de l’analyse des données de la littérature scientifique
- S’il est démontré que le métabolite ne possède pas de potentiel génotoxique, l’évaluation de sa pertinence pour les EDCH est poursuivie.
3ème critère : la toxicité sur la reproduction
- La toxicité résulte de l’examen des données disponibles sur le métabolite. Ces données peuvent être issues des études sources, des DAR/RAR, de la littérature scientifique ou de toute autre source appropriée. Les informations devront être suffisamment documentées et étayées pour être prises en compte.
- En l’absence de donnée sur une potentielle toxicité pour la reproduction du métabolite ou si les informations sont insuffisantes, c’est sur la base de la toxicité sur la reproduction de la SA (plus précisément en fonction de son classement au titre du règlement 1272/2008 et ses adaptations aux regard des connaissances) que sont bâties les conclusions.
- Si des données confirment un effet reprotoxique, le métabolite est alors considéré « pertinent pour les EDCH » ; à défaut l’évaluation de sa pertinence pour les EDCH est poursuivie.
4ème critère : la cancérogénicité
- La méthodologie adoptée pour la toxicité de la reproduction est également appliquée pour le facteur cancérogénicité.
- Si des données confirment un effet cancérogène, le métabolite est alors considéré « pertinent pour les EDCH » ; à défaut l’évaluation de sa pertinence pour les EDCH est poursuivie.
5ème critère : le potentiel de perturbation endocrinienne.
- Les données disponibles sur le métabolite sont examinées. Ces données peuvent être issues des rapports d’évaluation (DAR, RAR,..), des données sources citées dans ces rapports, de la littérature scientifique ou de toute autre source appropriée
- Lorsque ces données sont disponibles, l’évaluation est bâtie à l’appui d’une évaluation réglementaire du potentiel Perturbateur Endocrinien du métabolite, ou à défaut, à l’appui d’un document d’orientation publié en 2018, de l’ Efsa/Echa (Agence européenne des produits chimiques).
- En l’absence de donnée sur le métabolite ou si elles sont insuffisantes, l’évaluation est bâtie en s’appuyant sur une évaluation d’ores et déjà existante ou à réaliser sur la base du document d’orientation susnommé.
- Si l’évaluation conclut à identifier le métabolite comme présentant des propriétés de perturbation endocrinienne, le métabolite est classé « pertinent pour les EDCH » ; à défaut l’évaluation de sa pertinence est poursuivie.
6ème critère : transformation d’un métabolite en produit dangereux pour la santé humaine dans les filières de traitement EDCH
- Pour un métabolite de SA d’un produit phytopharmaceutique, si sa transformation en produit dangereux pour la santé humaine dans les filières de traitement EDCH a été prise en compte dans l’évaluation réglementaire, la conclusion de l’évaluation européenne sera reprise.
- A défaut d’évaluation au niveau européen, les conclusions sont bâties sur les données disponibles. Toute possibilité de présence de produit de transformation conduit à conclure à la pertinence du métabolite.
- Pour tout autre métabolite de SA de pesticide, le raisonnement se base également sur les données disponibles.
- En l’absence de donnée sur le métabolite ou si elles sont insuffisantes, le métabolite sera « classé non pertinent pour les EDCH ».
L’application de la méthode à huit métabolites conduit aux propositions suivantes :
A noter que cette valeur seuil de 0,9 μg.L-1 est complémentaire et distincte des Vmax proposées, par métabolite, au cas par cas par l’ANSES (concentration maximale d’un pesticide ou d’un métabolite dans l’eau de boisson à ne pas dépasser), lesquelles s’inscrivent dans un cadre dérogatoire pour gérer les situations temporaires de dépassement des limites de qualité réglementaires fixées dans les EDCH pour les métabolites de pesticides. En conséquence, ces Vmax restent d’actualité et seront utilisées par les ARS, le cas échéant, pour autoriser la distribution de l’eau à titre dérogatoire sur une période limitée dans le temps pendant laquelle des actions de remédiation doivent être mises en œuvre par le service d’eau potable en vue de distribuer de l’eau dont la qualité respecte la valeur seuil de 0,9 μg.L-1 (ou 0,1 en fonction du paramètre).
Enfin le rapport énumère les différents traitements aujourd’hui proposés pour étudier comment palier à des concentrations de ces métabolites dans les eaux supérieures aux seuils. Si l’ANSES n’est pas alarmiste dans ses conclusions, force est de constater que les rendements sont hétérogènes et très en deçà des rendements de traitement obtenus avec les substances actives mères, de nouvelles technologies de traitement sont en cours de développement (conciliant notamment charbons actifs en poudre et en grain) mais avec des temps de contact qui laissent augurer d’installations complexes et par voie de conséquence onéreuses. L’oxydation quant à elle, laisse interrogative quant aux risque de sous-produits…Mais il ne relevait pas de l’ANSES de statuer quant à la faisabilité (économique) de tels traitements, la question reste entière et nombre de services d’eaux risquent d’y être confrontés à court terme : lorsque les ARS s’appuieront sur ce rapport pour fixer le champ des contrôles sanitaires à appliquer et les tolérances (faibles) qui en résulteront au regard des résultats.