Droit de dérogation du préfet aux normes prises par l’administration

Reconnaissance d’un droit de dérogation du préfet aux normes prises par l’administration de l’Etat :

Quels impacts sur l’exercice des compétences du cycle de l’eau ?

Le décret n°2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet, vis-à-vis des normes prises par l’administration de l’Etat, est paru au JO du 9 avril 2020. Applicable dans l’ensemble du territoire de la République (Article 4), il autorise le préfet de département ou de région, et équivalents dans les autres territoires[1], à « déroger à des normes arrêtées par l’administration de l’Etat pour prendre des décisions non réglementaires relevant de sa compétence » dans un nombre limité de matières.

Il s’agit là d’une pérennisation d’un dispositif expérimenté durant deux ans dans le cadre du décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif à l’expérimentation territoriale d’un droit de dérogation reconnu au préfet. Cette expérimentation a eu lieu dans les régions Bourgogne-Franche-Comté, Pays de la Loire, Mayotte, dans les départements de la Creuse, du Lot, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, ainsi qu’à Saint-Martin et Saint-Barthélémy.

Le décret précise, de manière claire, que les normes auxquelles il est possible de déroger doivent relever de la compétence du préfet (de département ou de région) et que ces dérogations sont circonscrites aux matières suivantes (Article 1) :

1° Subventions, concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités territoriales ;

2° Aménagement du territoire et politique de la ville ;

3° Environnement, agriculture et forêts ;

4° Construction, logement et urbanisme ;

5° Emploi et activité économique ;

6° Protection et mise en valeur du patrimoine culturel ;

7° Activités sportives, socio-éducatives et associatives.

Par ailleurs, la dérogation doit répondre aux conditions cumulatives suivantes (Article 2) :

1° Être justifiée par un motif d’intérêt général et l’existence de circonstances locales ;

2°Avoir pour effet d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques ;

3° Être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France ;

4° Ne pas porter atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.

Le dispositif prévoit que la décision de déroger prenne “la forme d’un arrêté motivé, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture” (Article 3) et qu’elle aura le caractère d’une décision non-réglementaire (Article 1). Puisqu’elle est prise dans le cadre d’un acte non-réglementaire, la portée de la dérogation sera, par conséquent, limitée à une ou plusieurs personnes (physiques ou morales) nommément désignées. En effet, les actes non-réglementaires fixent une règle particulière (par opposition aux actes réglementaires, dont la portée est générale).

Les normes auxquelles il sera permis de déroger sont celles « arrêtées par l’administration de l’Etat » (Article 1), c’est-à-dire, les normes ayant un caractère réglementaire (décrets, arrêtés…) et dont le champ d’application relève de la compétence du préfet. Toute possibilité de dérogation à la Constitution, aux lois, au droit communautaire, aux traités internationaux et aux conventions internationales est ainsi exclue[2] (3° de l’article 2).

Ainsi, le dispositif permet qu’une personne morale ou physique, et uniquement cette personne, bénéficie d’une dérogation à une norme réglementaire qui, exception faite de la personne et de la situation à laquelle est appliquée la dérogation, continuera de s’appliquer de façon générale.

Par ailleurs, puisqu’il n’est permis de déroger qu’aux « normes arrêtées par l’administration de l’Etat », en aucun cas le préfet pourra déroger à une délibération (puisqu’il s’agit d’un acte réglementaire qui ne relève pas du champ des normes arrêtées par l’Etat ni de sa compétence, mais de celles des collectivités et de leurs groupements).

Par conséquent, les décisions dérogatoires prises par le préfet ne peuvent pas intervenir dans un champ relevant de la compétence d’une collectivité ou d’un groupement de collectivités.

Toutefois, compte tenu des matières concernées par ce droit de dérogation, il n’en demeure pas moins que le décret pourra avoir des incidences sur la gestion de certaines compétences par les collectivités et groupements de collectivités.

Au niveau financier, l’assouplissement des conditions d’attribution des subventions (taux plancher, plafond, interdictions, délais) aux collectivités, groupements, associations ou particuliers, pourra être envisagé.

Une autre incidence – très importante – du décret est qu’il donne la possibilité au préfet, sous réserve de répondre aux conditions cumulatives précitées, d’alléger certaines procédures administratives dans le cadre, notamment, des polices environnementales (Par ex : autorisation environnementale, IOTA et ICPE).

A ce propos, les dérogations aux polices environnementales prises dans le cadre de ce décret ne constituent pas une violation au principe de non-régression, ainsi que l’a reconnu le Conseil d’Etat s’agissant du décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif à l’expérimentation territoriale d’un droit de dérogation reconnu au préfet. En effet, celui-ci  “ne permet pas de déroger à des normes réglementaires ayant pour objet de garantir le respect de principes consacrés par la loi tel que le principe de non-régression” (CE, 17 juin 2019, n°421871). Rien ne semble contrevenir à ce que cette jurisprudence s’applique également au nouveau décret, qui procède à la généralisation et à la pérennisation de cette expérimentation, d’autant plus que, dans les faits, ces dérogations vont permettre d’accélérer et d’alléger les contraintes imposées par les polices environnementales à des projets contribuant pourtant à la protection et à la restauration de l’environnement.

A titre d’illustration, dans le cadre de la phase d’expérimentation, un préfet a ainsi autorisé une commune à déroger à l’obtention d’une autorisation, au titre de la nomenclature IOTA, pour un projet visant restaurer un marais tourbeux, tandis qu’une communauté de communes a obtenu une dérogation similaire s’agissant de la restauration d’un cours d’eau.

Un autre EPCI à fiscalité propre a obtenu une dérogation visant à diminuer la durée de la phase d’examen d’un dossier d’autorisation environnementale unique, durée qui a ainsi été réduite à 10 semaines.

Par ailleurs, un projet porté par une fédération de pêche, pourtant soumis à autorisation environnementale au titre de sa correspondance avec une rubrique de la nomenclature IOTA, n’a nécessité qu’une déclaration, consécutivement à la dérogation qui a été accordée par le préfet dans le cadre de cette expérimentation.

Enfin, le dispositif a également permis de déroger aux règles de composition de certaines commissions consultatives.

(Une liste des décisions dérogatoires prises dans le cadre de l’expérimentation du droit de dérogation figure à l’annexe 3 du rapport d’information sénatorial consacré à ce dispositif).

[1] Bénéficient également du droit de dérogation fixé par ce décret : le préfet de Mayotte ; le représentant de l’Etat à Saint-Barthélemy ; le représentant de l’Etat à Saint-Martin ; le représentant de l’Etat dans la collectivité territoriale à Saint-Pierre-et-Miquelon ; le haut-commissaire de la République en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie ; l’administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna ; l’administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises.

[2] Encore que le décret spécifie que la dérogation doit « être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France » (Article 2), ce qui laisse entendre une relative souplesse, comparée à ce qu’aurait laissé entendre l’utilisation du terme « conforme ».

 

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