Exonération totale de la responsabilité du maître d’ouvrage d’un réseau de collecte des eaux pluviales : la victime n’avait pas mis en œuvre de dispositif de protection en dépit de sa connaissance du risque
Il résulte d’une jurisprudence aussi ancienne que constante que tout maître d’ouvrage public « est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement » La responsabilité du gestionnaire d’un ouvrage public dédié à la gestion des eaux pluviales ou à la voirie peut ainsi être engagée dès lors que cet ouvrage a servi de vecteurs aux écoulements pluviaux et de ruissellement à l’origine de dommages[1]. La jurisprudence précise également que le maître d’ouvrage public « ne peut dégager sa responsabilité que s’il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d’un cas de force majeure ».
Un récent arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes a exonéré en intégralité le gestionnaire d’un réseau public de collecte des eaux pluviales de sa responsabilité, dans la mesure où la victime du préjudice avait pleinement connaissance du risque de débordement du réseau et n’avait pourtant mis aucune action en œuvre pour s’en préserver.
En l’espèce, une société exploitait « un fonds de commerce de restauration et débit de boissons dans des murs appartenant à [une autre personne morale de droit privé], dans une zone située au fond d’un vallon encaissé où coulait autrefois une rivière qui a été canalisée en conduite souterraine ». Après l’acquisition du fonds, le restaurant a été affecté par une série d’inondations, entraînant une série de fermetures. Il a été « une première fois inondé le 31 août 2008, puis une seconde fois quelques semaines plus tard. Ces sinistres ont entraîné la fermeture de l’établissement pendant une durée d’un mois et ont donné lieu à une indemnisation de la part de l’assureur […]. Lors de pluies torrentielles à caractère centennal classées en catastrophe naturelle, l’établissement a, de nouveau, été inondé le 24 octobre 2011, ce qui a conduit à sa fermeture jusqu’au 1er mars 2013. Le 13 septembre 2016, de nouvelles précipitations très intenses et très localisées ont de nouveau touché l’établissement et cet épisode a été classé catastrophe naturelle par un arrêté du 26 octobre 2016 ».
Le juge administratif prend soin de relever que « les locaux exploités par [la requérante], situés en bas du bassin versant […] et à un niveau inférieur de 70 centimètres à celui de la voirie, ont été inondés lors d’un épisode pluvio-orageux bref et d’une forte intensité, les ouvrages du réseau d’évacuation des eaux pluviales de la ville […] n’étant pas en capacité d’absorber ces précipitations ». Or, « Il n’est pas contesté par [la métropole] que le restaurant a été inondé par des eaux provenant des ouvrages publics que constituent la [voirie] et le réseau d’évacuation des eaux pluviales. Par suite, le lien de causalité entre un ouvrage public et les dommages subis par [la société] doit être regardé comme établi ». S’agissant de dommages permanents, le requérant devrait en principe démontrer le caractère grave et spécial du préjudice subi, qui semblait établi en l’espèce.
Cela étant, la métropole et la commune, maîtres des ouvrages publics qui ont servi de vecteurs au dommage, sont parvenus à démontrer une faute de la victime, qui a fait preuve de négligence en ne mettant pas en place de dispositif de protection alors qu’elle avait connaissance du risque d’inondation. En l’occurrence, la société et « ses gérants ont été informés par l’acte de cession du 2 octobre 2006 que le fonds de commerce qu’ils se préparaient à acquérir avait été inondé notamment » au niveau du bar et de la cuisine « , et ont indiqué, par le même acte, qu’ils en faisaient leur affaire. En outre, alors que l’expertise judiciaire réalisée sur les inondations de 2011 avait déjà relevé une responsabilité de l’exploitant qui, connaissant les risques d’inondation, suite aux inondations de 2008, n’avait pas pris de mesures de protection alors que la mise en place de panneaux de protection aurait » largement diminué « , voire empêché, la survenue du sinistre, [la société gestionnaire du restaurant] n’a pas davantage mis en place des dispositifs de protection contre les inondations à la suite du sinistre de 2011 et de l’expertise réalisée à cette occasion ».
Ainsi, le constate le juge administratif a considéré que la société requérante, « d’une part, connaissait le risque auquel elle s’exposait en acquérant ce fonds de commerce et, d’autre part, n’a pas pris les mesures susceptibles d’atténuer, voire d’éviter, les effets de ces inondations récurrentes ayant frappé le local avant 2006, puis en 2008 et en 2011 ». Dès lors, « la responsabilité de [la société] requérante dans les conséquences du sinistre survenu le 13 septembre 2016 constitue une cause totalement exonératoire faisant obstacle à l’engagement de sa responsabilité ».
[1] Pour approfondir ce point : FNCCR, « Livret 5 : Identifier les responsabilités de chacun », Co-construire une politique territoriale de gestion des écoulements pluviaux et de ruissellement, 2024