Jugement contre une réduction de débit en cas d’impayés – Note adressée aux responsables des services d’eau le 20 janvier 2016
La possibilité de procéder à des réductions de débit en cas d’impayés des factures d’eau suscite de nombreuses questions, surtout depuis la confirmation de la constitutionnalité de l’interdiction des coupures d’eau pour motif d’impayés (pour les résidences principales). En effet, si l’article L.115-3 du code de l’action sociale et des familles ne semble pas les interdire, son décret d’application (décret n°2008-780 du 13 août 2008) qui n’a pas été modifié sur ce point suite à l’adoption de la loi Brottes, les interdit pour les « consommateurs » ; cette interprétation avait été confirmée par le ministère de l’écologie dans une réponse à une question parlementaire en 2011 (RM n° 09092, JO Sénat du 03/03/2011). Depuis, lors des débats sur le projet de loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (adoptée en août – loi n° 2015-992 du 17 août 2015), les amendements visant à modifier l’article L.115-3 du CASF pour autoriser explicitement les réductions de débit (dans certains cas) ont été rejetés (voir en particulier le compte rendu de la séance du 15 juillet 2015 au Sénat). Enfin, une réponse de la Ministre de l’Ecologie à une question écrite sur le sujet de la réduction de débit confirme cette interdiction (n°87408 JOAN 25 août 2015) .
Un nouvel élément vient renforcer le principe d’une interdiction des réductions de débit : en effet, par une ordonnance de référé datée du 6 janvier 2016, le tribunal d’instance de Limoges a condamné sous astreinte un distributeur d’eau (la SAUR en l’occurrence) qui avait procédé à une réduction de débit pour motif d’impayés à « restaurer le débit normal et plein volume de distribution d’eau » au domicile concerné [NB – un jugement en référé ne tranche pas « au fond » et est susceptible d’appel]. Cette ordonnance s’appuie notamment sur la définition d’un « logement décent » donnée par l’article 3 du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l’application de l’article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains : « Le logement comporte les éléments d’équipement et de confort suivants : (…) 2. Une installation d’alimentation en eau potable assurant à l’intérieur du logement la distribution avec une pression et un débit suffisants pour l’utilisation normale de ses locataires ; (…) » . il s’agit d’un argument supplémentaire, jusque-là non développé, dans le sens d’une interdiction des réductions de débit en cas d’impayés.
Donc, dans l’état actuel des choses, il peut être recommandé par mesure de prudence, d’adopter des mesures différenciées selon les catégories d’abonnés en situation d’impayés :
1. Résidence principale :
- interdiction des coupures d’eau (cf. troisième alinéa de l’article L.115-3 du CASF qui interdit de procéder à une « suspension de fourniture » pour motif d’impayés dans une résidence principale) ;
- interdiction des réductions de débit (cf. décret 2008-780 qui interdit les réductions de fourniture, que l’abonné ait ou non sollicité le FSL ou les services sociaux et si c’est le cas, que ceux-ci lui aient ou non accordé une aide).
2. Consommateur autre que résidence principale (le « consommateur » est défini à article préliminaire du code de la consommation comme « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. »: en l’occurrence, résidence secondaire, branchements individuels « verts »,…) :
- possibilité de coupures d‘eau (le décret du 13 août les autorisent « sous réserve des dispositions du troisième alinéa de l’article L.115-3 du code de l’action sociale et des familles » donc de facto seules les résidences principales font l’objet d’une interdiction de coupures d’eau) ;
- interdiction de réduction de débit (cf. article 1 du décret du 13 août 2008).
3. Non consommateurs = personnes morales et personnes physiques utilisatrices de l’eau au titre de leurs activités commerciales, industrielles, artisanales ou libérales : ils ne sont pas visés par les dispositions du CASF et donc :
- possibilité de coupures d’eau
- possibilité de réductions de débit
ATTENTION :
Pour ce qui concerne la question des « résidences principales », il ne fait guère de doute qu’il faille raisonner « usager » et non « abonné ». En particulier, si un logement en location est occupé à titre de résidence principale, aucune coupure d’eau ne peut être effectuée, y compris lorsque l’abonnement a été souscrit par un propriétaire qui n’est pas un consommateur (personne physique ou morale).
De même, dans le cas d’un abonnement couvrant un usage mixte « résidence principale + activité professionnelle » (par exemple commerce, local professionnel, exploitation agricole, etc. comportant également un logement), l’usage « résidence principale » interdit de facto la coupure d’eau, même si l’abonnement est souscrit au titre de l’activité professionnelle.
Évidemment, il est souvent difficile de disposer d’une connaissance fiable du statut d’occupation à titre principale ou secondaire d’un logement (ou de l’utilisation d’un local « d’habitation » pour un usage professionnel), d’autant que ce n’est pas le statut de l’abonné qui compte mais celui de l’usager (cf. ci-dessus). Il faut donc être très prudent avant de procéder à une fermeture de branchement d’une résidence a priori secondaire ou dont l’abonnement est souscrit par une personne morale… De facto, de nombreux services ont purement et simplement renoncé à fermer l’eau dans les logements quel que soit le statut.
Par ailleurs, hors situations d’impayés mentionnées ci-dessus, les coupures d’eau demeurent possibles, notamment :
- en absence de souscription d’abonnement (mais attention : l’émission d’une facture par le service a toutes les chances d’être considérée par le juge comme la reconnaissance par le service de l’existence d’un « contrat » tacite – quand bien même la loi consommation de 2014 impose un contrat précédé de la délivrance d’un certain nombre d’informations et préalable à toute délivrance du service…) ;
- en cas de risque de contamination de l’eau du réseau public de distribution par des eaux provenant d’une autre source, selon les modalités prévues à l’article L.2224-12 du CGCT (mise en demeure,…) ou, si le péril est imminent, la fermeture du branchement peut être décidée par le Maire au titre de son pouvoir de police (sanitaire) ;
- en cas de manquements au règlement du service – autres que le payement des factures (fraude, refus d’accès au compteur…) – sous réserve que cette sanction (coupure) soit prévue par le règlement et précédée d’une mise en demeure (sauf toujours péril imminent mais cela relève alors du maire).