Une rivière transformée en émissaire est-elle encore un cours d’eau ?

Caractérisation d’un cours d’eau : le cas d’espèce d’une rivière transformée en émissaire

Il est fréquent que des groupements de collectivités compétents en matière de GEMAPI s’interrogent sur la caractérisation d’un fossé ou d’un égout en tant que cours d’eau.

Pour mémoire, il existe une définition légale de la notion de « cours d’eau », selon laquelle « constitue un cours d’eau un écoulement d’eaux courantes dans un lit naturel à l’origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l’année. L’écoulement peut ne pas être permanent compte tenu des conditions hydrologiques et géologiques locales »[1].

Dans l’hypothèse où les critères légaux ne permettent pas de déterminer si un écoulement est, ou n’est pas, un cours d’eau, alors il est nécessaire de se référer à « un faisceau d’indices de manière à pouvoir apprécier indirectement si ces critères sont remplis », comme l’a précisé le Conseil d’Etat[2]. Les indices identifiés par le Conseil d’État dans l’arrêt précité sont « la présence de berges et d’un lit au substrat spécifique », « la présence de vie aquatique »[3] ainsi que « la continuité de l’écoulement d’amont en aval ». Le développement de certaines espèces aquatiques ou d’une ripisylve, lequel n’est possible uniquement à la condition que les écoulements soient pérennes et le débit suffisant, est un autre exemple d’indice ayant permis de caractériser ’existence d’un cours d’eau[4]. A titre d’illustration, « la présence de joncs, de lentilles et de gammares [atteste] d’un écoulement d’eau suffisant pour permettre leur développement »[5]. Le caractère rectiligne ou sinueux d’un écoulement est également un indice à considérer[6].

Les arrêts du juge administratif apportent ainsi de nombreuses illustrations concrètes de la manière de déterminer si un écoulement est, ou n’est pas, un cours d’eau.

Par exemple, dans un arrêt récent, le TA de Besançon a reconnu la qualité de cours d’eau à un émissaire[7], connu sous le nom de « fossé des trous de Marne ». Afin de déterminer cela, le juge administratif s’est livré à une appréciation concrète de la situation, afin de vérifier si chacun des critères fixés par la loi était satisfait.

Le premier critère suppose que l’écoulement ait un lit d’origine naturelle, quand bien même le cours d’eau serait par la suite dévidé de son cours. Il s’agit d’établir qu’un lit naturel a existé dans le passé. En l’espèce, « la circonstance que la commune […] a réalisé des travaux d’aménagement en 2009 pour lutter contre les inondations, qui ont déplacé la partie avale de l’écoulement en le sortant de son lit naturel pour le canaliser dans un fossé aménagé, n’est pas de nature à avoir fait perdre à l’émissaire l’origine naturelle de son lit ».

Par ailleurs, le cours d’eau a également conservé sa source, comme l’établissent les expertises apportées au dossier (en l’occurrence, sept expertises de terrain, certaines réalisées par des membres du comité de suivi départemental de la cartographie des cours d’eau, et une note technique critique élaborée par l’OFB), qui démontrent que « l’émissaire est alimenté par la source captée sous la ferme Babé qui rejoint le lit d’écoulement par une canalisation ».

Enfin, le juge du fonds a également vérifié la satisfaction du troisième critère légal, à savoir la suffisance du débit la majeure partie de l’année. Pour la caractériser, des « visites de terrain [ont été] effectuées par des membres du comité de suivi […] après une période chaude et sèche et plus précisément respectivement 34 et 27 jours après la dernière pluie », ce qui a permis « de constater un écoulement d’eaux courantes ».

Ainsi, au terme d’une analyse concrète de la situation, le juge administratif considère que « l’émissaire ne provient pas du ruissellement des eaux de pluie mais est alimenté par la source, et son débit, qui n’a pas à atteindre un minimum chiffré, est suffisant. La circonstance que, depuis la pose d’un merlon de terre en 2019 par la commune au départ de l’émissaire, l’eau, ainsi artificiellement détournée, soit désormais obligée de s’écouler en contre-sens de la vallée jusqu’à se déverser dans le collecteur enterré d’eaux pluviales de la commune avant de déboucher dans le fond du lit du ruisseau de l’Écrevisse, ne permet de remettre en cause ni le tracé originel du lit naturel issu de la source qui venait alimenter en eau le  » fossé des trous de Marne  » et ne pouvait, du fait la déclivité ascendante du terrain entre le point d’émergence de la source et le lit du ruisseau de l’Écrevisse, s’écouler naturellement vers ce dernier, ni les observations antérieures à la pose du merlon de terre ». De plus, « l’émissaire demeure alimenté naturellement par des zones humides de bordure, des apports diffus du coteau et des affleurements de la nappe, lesquels sont assimilables à une source ».

La mention du cours d’eau dans des documents cartographiques a été un indice supplémentaire permettant d’attester l’existence d’un cours d’eau[8]. En l’espèce, il « ressort des pièces du dossier que l’émissaire […] figure sur la carte d’État-Major établie au XIXème siècle ainsi que sur la carte IGN géologique et les cartes IGN au 1/25 000ème de 1950 et du 3 mai 2019 ». Le fait que le cours d’eau ne figure pas sur l’ensemble des cartes existantes n’a pas d’importance ; « ainsi, et alors même qu’il n’a été porté ni sur la carte de Cassini de 1747 ni sur le cadastre actuel établi en 1970, ces éléments cartographiques confirment l’existence d’un écoulement dans un lit naturel ».

« En conséquence », le juge administratif considère que le préfet « a exactement qualifié le  » fossé des trous de Marne  » de cours d ‘ eau au sens de l’article L. 215-7-1 du code de l’environnement ».

Enfin, lorsque ce travail d’appréciation concrète de la situation révèle qu’aucun des critères légaux n’est satisfait, alors l’écoulement ne peut être caractérisé en tant que cours d’eau. Ainsi, un fossé non alimenté par une source, et dont l’eau provient des ruissellements ainsi que des réseaux de drainage, n’est pas un cours d’eau, quand bien même une carte de l’IGN l’identifierait comme tel[9].

[1] C. envir., art. L.215-7-1

[2] CE, 1ère et 6ème ch., 22 févr. 2017, n°395021

[3] La présence de vie aquatique permet de vérifier la satisfaction du critère de suffisance du débit la majeure partie de l’année. Voir sur ce point : CAA Nancy, 1ère ch., 23 juill. 2019, n° 18NC00310

[4] CAA Paris, 1ère ch., 9 déc. 2021, n°20PA01126 ; CAA Nancy, 1ère ch., 25 avril 2019, n°18NC00823

[5] TA Limoges, 2ème ch., 29 sept. 2022, n°1902205

[6] CAA Nantes, 2ème ch., 25 févr. 2022, n°18NT02978 ; CAA Douai, 1ère ch., 7 mai 2021, n°19DA02776

[7] Des émissaires ont déjà été caractérisés en tant que cours d’eau par le juge administratif. Voir sur ce point : CAA Marseille, 7ème ch., 2 oct. 2020, n°18MA03925

[8] Voir également : CAA Marseille, 7ème ch., 22 janv. 2021, n°18MA04915

[9] CAA Bordeaux, 5ème ch., 20 déc. 2022, n°21BX00744 ; TA Dijon, 25 novembre 2014, n°1401286

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